Les mots nous regardent. J’avance en poésie comme un cheval de trait.

Les mots nous regardent. J’avance en poésie comme un cheval de trait.
École Saint-Jean Baptiste, Val-David, 1999.
Architecte: Laurent Vermette

L’artiste s’est ici inspiré de la poésie de Gaston Miron, natif de la région des Laurentides. Aux six poèmes qu’il a choisis correspondent autant de sculptures, représentations du monde animé ou inanimé: une feuille, un cheval, une maison, un fauteuil, un rabot et un canot. À la base de chacune d’elles un fragment de poème est gravé et un parcours dallé se dessine. Fixée à l’extrémité d’un mât, à deux mètres du sol, chacune des sculptures montre une réalité dans sa totalité, l’enveloppe extérieure de l’être ou de la chose, mais aussi sa structure intérieure, sa face cachée. L’oeuvre, miniaturisée, est à l’échelle des enfants. Les bancs de granit rose, sur lesquels un mot tiré d’un poème est également inscrit, sont disposés en cercle au milieu des sculptures; ils appellent la conversation et l’ouverture à la créativité. (Source: Bilan 1998-1999. L’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement, Ministère de la Culture et des Communications, page 13. )

Cliquez ici pour plus d’informations sur l’oeuvre, dans le revue Traces magazine

« Les maisons voyagent chacune pour soi »

« J’avance en poésie comme un cheval de trait »

« Au coeur des feuilles l’idée de l’arbre »

« Quand un sculpteur rencontre un poète »

Article de Yohann Saint-Amour
pour le journal Ski-se-Dit, à Val-David et ses environs
Volume XXXIV, Numéro 5, Juin 2000, page 10

L’automne dernier, l’équipe de Ski-se-Dit fut invitée à l’école Saint-Jean Baptiste pour l’inauguration d’une sculpture. L’oeuvre de l’artiste val-davidois Pierre Leblanc, que je ne connaissais pas à l’époque. Faut dire que ça fait juste deux ans et demi que j’habite ici. « Encore un foutu 1% » que je me suis dis. « Encore l’art subventionné ». J’avais peur d’y aller. Peur de ne pas aimer. De me geler les côtes en écoutant le discours ronflant de ces bureaucrates endimanchés. Mais au cours de la cérémonie, ma peur s’est transformée en admiration. L’animation du conteur Michel Faubert y comptait pour beaucoup, apportant une chaleur réconfortante à la petite neige qui tombait. J’ai fait ce jour-là la découverte de trois univers entremêlés, la découverte de l’unité dans la diversité: Michel Faubert, Gaston Miron et Pierre Leblanc.

Quand j’étudiais la littérature à l’université, je n’ai pas pris le temps de lire L’homme rapaillé. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être la peur de ne pas comprendre. Depuis, plusieurs personnes m’ont parlé du rire dévastateur et incendiaire de Gaston Miron. Je me souviens aussi, quand Gaston est mort en 1996, que son copain Pierre Falardeau avait écrit dans le devoir: « Miron le magnifique. Miron l’archaïque. Miron le raqué de l’histoire. Miron l’homme de peine, frère de tous les hommes de peine. Miron le pea soup. Miron l’humilié. Miron le camarade. Miron le prophète. Miron l’homme rapaillé (…) Pour toujours tu es sur la place publique avec les tiens et la poésie n’a pas à rougir de toi. Salut Miron. Quand un résistant tombe, dix autres se lèvent pour ramasser son arme ».

Pierre Leblanc est un des ces résistants. Homme de lutte, il a donné un second souffle à la poésie de Gaston Miron en la cristallisant sur la place publique. Il a brisé l’isolement du poète et il a permis à son oeuvre de s’épanouir, en lui offrant un lieu où plonger ses racines. De quelle façon ? En créant un ensemble de six sculptures magnifiques, dans la cour de l’école Saint-Jean Baptiste, en aluminium et en métal, à l’image des grands thèmes de L’Homme rapaillé. Le tout associé à des citations du recueil, gravées dans la pierre, au pied de chacune d’elles. La maison:« Les maisons voyagent chacune pour soi », le canot: « Je sais, c’est la Nord de mon enfance », le cheval: « J’avance en poésie comme un cheval de trait », le rabot: « Il s’avance en moi avec le goût du fils et des outils », la feuille: « Au coeur de la feuille l’idée de l’arbre », et le fauteuil: « Je commence à ressembler aux meubles ».

Une oeuvre puissante et radicale. D’ailleurs, François Landry esquisse, dans son Répertoire commenté et interactif des artistes, organismes, des diffuseurs et des lieux dans les Hautes Laurentides, la recherche artistique du sculpteur de cette façon: « Pierre Leblanc n’a jamais fait comme si sa civilisation industrielle n’existait pas. au contraire, il en a souvent ouvré et récupéré les signes les plus probants (poutrelles de métal, pièces machiniques plus ou moins monumentales et autres débris du monde urbain), les déviant de leur fonction pour les esthétisme, les transformant en de monstrueux artefacts de notre modernité. » (p.80). Pierre Leblanc introduit dans ses « représentations tri-dimensionnelles » le goût du risque. À la manière des sculpteurs contemporains, la recherche artistique de Pierre Leblanc se fait militante, dans la création et le choix des ses  matériaux, pour le dévoilement de l’aliénation moderne.

Alors si vous voulez me faire plaisir, allez jeter un coup d’oeil à cette sculpture. Et lisez, comme moi cette semaine, L’Homme rapaillé. Pour le plaisir de vous imprégner de la rencontre d’un sculpteur et d’un poète. Croyez-moi, le détour en vaut la peine. Et merci à Pierre Leblanc de m’avoir permis de prendre conscience que la poésie de Gaston Miron est valable pour tous dans la mesure où l’homme est au centre de ses intérêts, mais surtout qu’elle n’est pas si dure que ça à comprendre.

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